(UN) Dans son modeste appartement tout de briques et d'acier raisonnent toujours quelques notes échappées du pavillon doré de son vieux phonographe. Une vieillerie miraculée chantant toujours ces airs de jazz de l'ancien temps qui ont le don de détendre les muscles crispés qui suivent généralement les nuits de patrouille. (DEUX) Benvolio n'aime pas trop s'encombrer d'effets personnels ou de mobilier superflu. Son chez-lui n'est qu'un refuge provisoire, comme s'il s'apprêtait à partir à tout moment. Néanmoins, une photo de Roméo, Mercutio et lui-même demeure accroché au miroir de sa salle de bain, résistant tant bien que mal à l'étouffante humidité qui n'épargne cependant pas le papier-peint terni qui se décolle par-ci par-là. (TROIS) Il ne compte plus les heures à scruter les tâches et autres imperfections qui parsèment le vieillot de son plafond. Souvent, il se perd dans sa propre caboche, refaisant l'histoire encore et encore. Réécrire pour reconstruire. Un exercice hérité de l'enfance, quand l'imperméable bulle de l'imagination protégeait encore du feu des balles. Sous bien des aspects encore, la candeur juvénile ne semble pas avoir décidé de quitter ses boucles chocolat. (QUATRE) Il suffit d'être un Montaigu pour savoir que Benvolio ne résiste pas bien longtemps au feu ravageur de l'alcool. Il n'en faut que très peu pour faire rosir ces joues de bambin, pour orner ses maladroites paroles d'un charme encore plus pataud. Certains ont déjà profité de lui dans de telles situations, l'emmenant dans leurs couches sans jamais parvenir à le mettre à table. « Mes lèvres sont scellées » s'évertue-t-il à baragouiner. Nulle part ailleurs, secrets ne sauraient être mieux gardés qu'entre ses lippes malhabiles. (CINQ) Sur les pavés humides de rosée nocturne, il déambule entre petites rues et grands chemins, guettant bruits et murmures. Si l'on sait vers où tendre l'oreille, on sait également que Rome est loin d'être muette. Son ton graveleux, ses intonations pressées et parfois inintelligibles. Une mine d'informations que les autorités ne peuvent ignorer et qui parviennent toujours à Roméo. Benvolio en est convaincu : tout n'est pas à jeter de cette cité piégée dans le temps comme dans le péché. Et son très cher cousin pourrait être l'aube de cette nuit sanglante qui perdure depuis bien assez longtemps. (SIX) La religion est un sujet épineux, enjeu de pouvoirs qui le dépassent. Lui-même ne sait pas s'il croît en une forme de volonté supérieure, s'exprimant sur l'état du monde. Qu'elle soit "Dieu" ou "Destinée", qu'elle applique sur la loi sur ce monde ou sur la naïveté du peuple, le Montaigu n'en sait rien et à vrai dire, cela l'importe peu. Il faut laisser les questionnements métaphysiques aux Helsingor et aux Lear pendant que les romains subissent le joug de cette violence. Il exècre les Ides et la barbarie du Colisée, exutoires d'une haine sauvage ou pas.  (SEPT) Quand bien même il est un fervent défenseur de la paix, Benvolio n'est pas un lâche, quoiqu'en disent les mauvaises langues. Ses mains sont déjà couvertes de sang et il n'hésiterait pas à presser à nouveau la détente si cela pouvait sauver la vie des êtres qui lui sont chers. Soldat avant d'être humaniste, l'option maîtrise la plupart des armes à feu avec autant d'assurance qu'il fait danser glaives et dagues entre la finesse de ses doigts. A bien le regarder, il est évident que la force brute n'a jamais été son fort. Bien malheureux furent néanmoins ceux qui sous-estimèrent la rapidité de son agilité.(HUIT) Les quelques fois où il se laisse aller à un franc sourire, il rayonne d'un optimisme rare. Un feu de joie qui fait danser les ombres des tracas sur les murs décrépis de la cité. Tel un doux foyer au cœur d'un vigoureux hiver où il fait bon de réchauffer ses extrémités injuriées par la rigueur du froid. Mais ce rictus n'est pas seulement réservé à Roméo et aux autres Montaigu. Benvolio se sent lésé par ces sanglantes guerres de pouvoirs. Ainsi, sa bienveillance ne connaît pas les limites du patronyme, réconfortant tous ceux qui s'en montrent méritants. Mais gare à ceux qui oseraient le duper. La rancune derrière ce masque de porcelaine ; il n'hésitera pas à faire tomber la lame de la sentence sur les nuques des coupables. (NEUF) Être la main de la Justice et de l’Ordre ne l’empêche pas  d’avoir sa propre manière de penser. Tantôt manichéen, tantôt pragmatique, sa docilité n’exclue jamais complètement ses jugements personnels. La corruption est partout dans la nouvelle Rome, et quelques billets suffisent amplement pour mettre la tête d’un innocent sur le billot. Mais très vite, c’est l’impuissance d’un jeune homme dépassé par une autorité qui le subordonne déjà. S’il est brave et bien-pensant, il n’ose transgresser les règles – parfois absurdes – qu’on lui impose. En ça, Roméo l’a toujours passionné. Affranchi des limites, aventuriers de l’interdit : il s’avance là où bon lui semble, ignorant insolemment les épées de Damoclès qui pointent pourtant au-dessus de son crâne. L’héroïsme d’un cœur pur peut donc jaillir de cette ville qu’on dit pourtant perdue. (DIX) Il l'aime cette satanée cité pourtant. Âmes damnées à traverser colonnades et baies vitrées, à changer d'époques comme de rues. Lorsqu'il traverse ces places bien des fois centenaires, il se sent acteur d'une histoire qui ne saurait s'arrêter aux seuls événements de ce qui fut, dit-on, l'Apocalypse. Bien loin d'être la fin, elle fut le renouveau. L'étincelle nécessaire à allumer ce fil de poudre jusqu'à l'explosion de la cruauté. Pourtant, de ce chaos n'épargnant ni veuves ni orphelins, naîtra l'accalmie et la paix. Un rêve fou, alors que chaque journée il se damne à maintenir l'ordre, à sauver des esprits corrompues, à rattraper des esprits perdus.