Trois Une mosaïque. On te posait dans un losange de tigres quand tu étais méchante, dans un hexagone de fleurs quand tu adoptais le comportement adéquat. Et tu te rappelles du chemin qui te menait rampant de l'un à l'autre. On passait par des oiseaux et des capricornes flamboyants. Des pieds nus. tu essayais, entre les franges, de toucher leurs anneaux d'or. Certaines chevilles étaient unies par des chaînes. C'était des chevilles d'esclaves. tu te souviens surtout de deux pieds blancs, les plus nus, les plus purs. Leurs pas étaient toujours égal, sage, mesuré. tu as dû les embrasser, n'est-ce pas ? Un nourrisson embrasse toujours ce qu'il touche. Était-ce vous, mère ? La mort déjà au ventre ? Que ne troquerais-je pas le pampre et l'olivier pour contempler votre visage. Pour capter votre souvenance : fragrance de souvenir, rêve de souvenir.

Sept Les longues boucles de l’enfance chutent à tes pieds. Ne pas trembler. Ne pas gémir. Ne pas parler. Le silence tombe et tranche l’air de ses plumes acérées, coupe les derniers fils de ta parenté. C'est sur ta chair frêle, jeune et nue que l'on grave, à l’acide du devoir, les lettres de ton asservissement, C'est dans tes os que l'on brûle ton nom. Fides muris usque ad mure. Fidèle à tes murs, jusqu'à en manger les rats.

Treize“Tu es un voyou”. Ça a claqué comme une balle sur le carrelage du salon. “Il n’y a pas de mots pour désigner les gens de ta sorte”. L'insulte te fait reculer. Vous vous trompez père. Tu es un couteau, une toupie, c’est ça un couteau. Tu es sa plaie et son bourreau, forgée à la liqueur de ses déceptions, à la lie de ses illusions. Puisqu'il est le Sacrificateur - dans ses mains des bouchées d'enfance - et qu'il tient entre ses dents la gorge de l'histoire, puisqu'il faut se calmer, se soumettre et obéir, tu lui remets la trame de ta vie et la lame de ta mort.

Dix-neuf. Partout où tu poses ton regard, tu ne vois que du rouge. Aux rideaux, aux murs, sur le sol et au-dehors, sur la neige, sur sa poitrine, sur ton visage et celui de tes frères. Le rouge, le rouge, le rouge, le rouge. Rouge donc est le monde des hommes. Rouge toujours. Rouge pour toujours. C’est le sang des générations massacrées qui vous regarde, maculant ton cou, tes bras, tes lèvres, et ceux de de tes pairs. Voici la horde hoquetante, des amis, des damnés, claudiquant en proie à la frayeur de vos nuits, allant sans yeux, sans nom, sans rien, des oiseaux de sang à la place des mains. N’oubliez pas que le chien qui n’a plus que la peau sur les os n’en a pas moins la rage en plus. Aujourd’hui, tu arraches le couteau que l’enfance a planté dans ta gorge. Aujourd’hui, tu brandis le glaive du massacre. Si les Montaigu périssent, ils entraîneront l'ennemi dans leur chute.

Vingt-trois Rome la trois fois décadente. Tu l'observes chaque nuit s'enfoncer un peu plus dans le soufre de la débauche. La justice a pris quelques vacances, à défaut d'une personne pour l'appliquer et vous n'êtes pas de ces pays qui laissent cette tâche aux dieux. Ce ne sont que des artistes, après tout. Donnez-leur une belle lueur sur un incendie, ou un beau gazon sur un champ de bataille et ils seront satisfaits. Voilà pour leur idéal d'équité. Alors parfois, quand la nuit est encore jeune, tu te demandes s'il ne faudrait pas que votre monde pète et craque dans les fondements de ses fondements, dans les générations de ses générations dussent mille innocents mourir la mort de mille innocents pour laisser les mains rouges et la face noire des coupables être exposées à la lumière du jour.