A season of doubt
Les jambes se croisent et le torse se tord.
Elle s'allonge la divine enfant. Crinière blonde étalée au sol tandis que les bras se tendent vers le plafond. Les doigts jouent avec les fils du monde, s'articulent un à un. Pattes d'araignée et toile gigantesque.
La gorge se serre. Ses muscles font mal, la pointe de ses pieds bientôt saignera. Elle imagine et sourit. Un bref, invisible, sourire. La passion dégueulassant la vertu. Le morbide jetant sa poussière à l'âme. Le rouge coquelicot doit peindre l'opalescent. Desdémone s'agite. Percute un peu plus fort la surface lisse sous elle. Car il le faut, elle le doit. Le rouge maculera l'ivoire. Sans ça, la performance ne sera pas achevée. Sans ça, il manquera le précieux trésor accordé à ses dieux insensés. Ceux-là même qui la contemplent et lui permettent toujours un peu plus longtemps d'exister.
Ses prunelles s'abaissent, regardent les tissus grisés par l'effort.
Elle y remarque que le sang n'a pas souillé ses angles et la tristesse envahit ses traits. N'est-elle plus digne d'être aimée ?
Jamais elle ne s'arrête.
Frénésie des sens, elle trébuche. Sa carcasse virevolte, se redresse. Serpentine créature que la gravité ne paraît pas toucher.
Coincée entre le silence et la réalité.
Pas une note ne bruisse à travers l'atmosphère. Du silence, silence, du silence à l'intérieur de la spacieuse pièce, plus encore au-dehors.
Bâtiment blanc et immense. Aile déserte, où s'entraînent les danseurs. Mais plus à cette heure, non plus à cette heure.
Abandonnée à sa jolie démence, Desdémone chante son extase aux esprits qui la guignent. Mille et un œil parcourant ses courbes. Elle le sait. Comme on se sent observer au milieu d'une foule d'inconnus.
La belle enfant suit donc les vagues d'une mélodie imaginaire.
Paupières baissées et la sueur collant son teeshirt trop large et trop court, son caleçon semblable à une seconde peau.
Folle. À bout de souffle.
La bouche s'entrouvre pour expirer les difficultés qui se bousculent. La fatigue de l'esprit, l'épuisement du corps. La mélancolie s'évade avec. S'extirpe d'entre les lèvres trop épaisses pour ne pas songer à mal. Pour ne pas vouloir les mordre.
Les genoux caressent finalement le parquet ciré et elle s'agenouille et elle écarte les cuisses. S'échoue.
Sirène soustraite à sa prison d'eau chaude. En elle, la musique résonne et frappe toujours. Masque les pulsations de son cœur éprouvé. La garce claque la moindre de ses pensées afin de les lui écraser. Plus rien ne compte. Rien sauf l'idée de bouger, de suivre la rythmique qui se grave en son sein. Partition burinant son poitrail. S'y lovant, à devenir obsession fatale.
Un faux mouvement, Desdémone vacille.
Une guibolle à la perpendiculaire, l'autre la faisant tourner sur elle-même. Une paume de main moite se dépose sur les lattes de bois brillant, en explore la douceur. Et aussitôt, elle se projette à nouveau. Elle s'abandonne à l'Art. Pour n'être qu'un objet, qu'une poupée. La conscience évaporée, ne subsiste que l'envie d'en finir, que l'envie d'y survivre.
La figure chavire en avant, le gosier grand ouvert. L'oxygène lui manque. Le buste s’arque davantage. Dos rond. Daignant relever ses yeux sur le miroir en face, Desdémone y détaille instinctivement son douteux reflet. Rougi par l'effort. Un organisme plié, recroquevillé. Caillou blanc perdu sur l'ambre de la sylve moderne.
Desdémone examine ce portrait qu'elle ne reconnaît jamais tout-à-fait. Est-ce le sang des Capulet qui coule dans ses veines ou celui d'une bestiole égarée. La tension s'éloigne durant une seconde ou deux, hors de ses membres durs. Les poumons se goinfrent d'air tiède pendant l'attente.
Et le froid des lieux soudain picore son derme. Une rafale soulève les étoffes légères la recouvrant. La silhouette lactescente frissonne violemment. Les iris scrutent les reflets, aperçoivent ce qui n'est pas à sa place. L'obligent à se retourner.
L'angélique colle ainsi ses omoplates au miroir dorénavant derrière elle. L'attention portée vers l'entrée de la pièce et les mains pressant sa poitrine.
«
Es-tu venu me faire de la peine ? » lâche-t-elle, tout bas.
Un murmure, pas plus épais qu'un murmure.
Sa voix lui est étrangère. Elle ne l'entend que trop rarement. Une parole d'outre-monde, qu'elle n'est plus certaine d'avoir prononcée. Le son effacé de leurs oreilles. Pourquoi lui parler ou pourquoi cette question. Elle l'ignore.
Elle le craint.
Comme on craint de se briser en approchant trop près du bord. Falaise suspendue aux cieux. Elle ne veut pas en descendre, elle ne veut pas qu'il s'approche. Car s'il approche, il cassera le silence. Ce silence qui d'elle à lui semble si cher. S'il s'approche le charme pourrait se rompre, et avec, les promesses qu'elle sait être amour éternel.