Coeur pur, cœur fidèle, il embrassait la lumière du bout de ses faiblesses. La nuit, il rêvait de tigres et de fauves en furie, déchiqueté aux crocs de passions inassouvies. Qu'importe, murmurait son âme, qu'importe, chantait le feu à ses yeux, et le sang de ses  guerres. Oui, qu'importe? Tête nue, mains agiles,l'hiver en son cœur lui colorait pourtant les joues aux teintes rieuses des mois de mai en fleurs.
On le disait tremblant de porter l'épée, pauvre Lawrence, Lorenzo, Lorenzaccio, avec ses mains de femme, avec son cœur d'enfant et ses drôles de tourments. Et, jusqu'à ses vingt ans, une trop longue nuit pour y survivre vraiment...
Les coups et les insultes, l'humiliation, l'éducation, il y répondait par des larmes plutôt que des cris. Silencieux à sa manière, le jeune garçon attendait, malmené et détesté. Ses aînés de forgeaient un drapeau de gloire, il y préférait une couronne de honte et de secret. Alors bien sûr, son père voulut savoir.:pourquoi ?
Pourquoi une telle révolte alors qu'il n'en gagnait rien ? Pourquoi des combats perdus d'avance, loin de trop d'amour ?
Lawrence, son visage comme un sacrifice aux ténèbres et à la nuit, ses yeux qui à leur manière voyaient trop, son cœur, oh son cœur aussi...

« Père, vous voulez que je brutalise, vous voulez que je tue, que j'apprenne...mais quel besoin ? En même temps que mon premier souffle, je fis mon premier meurtre. ! Crachez-moi au visage si vous le souhaitez, j'ai rempli ma dette et payé le prix du sang. De ma mère, j'ai tété le lait de la tombe et ma propre vie fut son poison. Il n'y a rien à faire de plus....Continuez vos singeries, je continuerai mes larmes puisque ma sœur est bien assez garçon pour deux ou trois si votre autre fils par hasard vous déplaît aussi. »

Il était fait pour les pensées et la stratégie, il était fait pour l'ombre et la vérité, il était fait pour les cœurs sages et les secrets mais jamais oh grand jamais, Lawrence ne fut fait pour être aimé. Derrière ses yeux, une porte close, un univers passé, châteaux ensevelis contre son propre cœur endormi.
Et l'épée restait au fourreau, le fourreau à la ceinture, la ceinture au vêtement et le vêtement....Déchiré du corps, déchiré de l'âme, parce qu'en ce monde il y avait des violences autres que par les mots et les armes. Lawrence, Lorenzo, vingt ans à peine, un chant aux lèvres et des bras pour l'enfermer. Il ne comprenait pas, ne comprenait jamais, la fraternité n'était pas pour lui peu importe combien les soldats se forçaient à l'aimer. Des nuits sans lune pour apprendre du bout des doigts ces corps aux muscles épais, alors il fermait les yeux et comme aux heures les plus noires de son enfance, il attendait. Parfois il embrassait un peu, une marée au cœur qu'il ne pouvait refouler. Parfois il trahissait, préférant d'autres hommes, d'autres amants, et sa fraternité était traîtresse, son affection illusoire. Il embrassait un peu, oui, pur à sa manière, lui ayant déjà abandonné tout combat, mais il n'aimait jamais.

Parfois, il rêvait d'autres foyers, souffrant de ne vouloir mourir pour ses propres gens. Un cœur sans honneur, prompt au mensonge lui que l'on n'avait jamais pris la peine d'aimer. Pourquoi lui plutôt qu'un autre, pourquoi lui pour être cette faiblesse incarnée ? Et ses poings frappaient les murs sans qu'un cri ne monte pourtant. Le silence, comme au premier jour, le silence pour s'y dérober. Combien resplendissant, chez d'autres il aurait pu être ! Hélas il n'était que cet homme aux manières de garçon, préférant s'étendre lascif et offert aux cœurs guerriers, que de prendre les armes lui-même. Un lâche, un pleutre, une blessure à vif dans une famille honorable. Alors il eut à dépasser ses propres vingt ans pour grandir encore et encore, prêtre sans vêtement lui qui préférait Dieu plutôt qu'aux hommes mais ne possédait le droit de le prier vraiment. Ses rêveries le menaient jusqu'aux amitiés insolites, d'autres personnes jamais aimées, d'autres personnes brisées...

Un nom qu'il aurait du haïr pourtant et il le faisait, Dieu qu'il le faisait, mais cet homme était différent.

 « Car ma vertu est nourrie au moindre de tes vices, Tybalt, mon petit pécheur, mon petit fat...»

Il l'écoutait, ce Capulet, il l'écoutait comme lui-même ne l'avait jamais été. Pour son goût des duels, il ne punissait, offrant dédain et froideur lorsque chacun s'abreuvait d'une amitié contre-nature ne pouvant mener qu'à la trahison pourtant. L'âge qu'ils portaient au cœur étaient le même, mais Lawrence se faisait comme un guide, comme un père et l'éduquait jusqu'à lui-même recevoir l'enseignement de ses vices et de ses orgies.
Et pourtant, il restait pur l'enfant Montaigu, trop sage peut-être avant même d'avoir vécu. Lui qui ne réclamait aucun pouvoir voyait ainsi par delà le bien et le mal, à la recherche de cet amour tout puissant promis par les écritures.  Car dans le cœur des hommes, il n'y aurait jamais que la haine....

 « Père, pardonnez-moi de ne pouvoir être un fils, et peut-être m'aimez-vous un peu malgré tout, car depuis bien des années vous me laissez vous haïr... »